Handicap psychique, un tabou au travail

Mercredi 3 MAI 2017

Handicap psychique, un tabou au travail

Sensibilisation et emploi accompagné pour déstigmatiser le handicap psychique au travail.

Lu pour vous LE NOUVEL ECONOMISTE du 27/04/2017

Reconnus comme un handicap par la loi du 11 février 2005, les troubles psychiques souffrent encore d’une image négative en entreprise. Le handicap psychique est caractérisé par un déficit relationnel, des difficultés de concentration, une grande variabilité dans la possibilité d’utilisation des capacités, les facultés intellectuelles étant normales. Même si les mentalités tendent à évoluer, bon nombre de sociétés rechignent à recruter des personnes en situation de handicap psychique. Pour faire avancer les choses, les associations et cabinets d’aide à la réinsertion axent leurs actions sur la sensibilisation et la formation des entreprises. Pour les individus souffrant de ce type de handicap, les dispositifs d’emploi accompagné sont également mis à l’honneur et tendent à se développer en France.


par Audrey Fréel

Une personne sur quatre sera affectée par un trouble psychique au cours de sa vie, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Bipolarité, dépression, troubles obsessionnels compulsifs, autisme, schizophrénie… Bien que répandues, ces maladies demeurent taboues. Elles effraient. À la différence du handicap mental, elles n’affectent pas les facultés intellectuelles. “Les personnes handicapées psychiques ont globalement un meilleur niveau d’étude par rapport aux autres personnes handicapées”, souligne d’ailleurs Béatrice Borrel, présidente de l’Union des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). “En France, nous recensons 2,6 millions de personnes avec une reconnaissance administrative de handicap au travail. Sur ce chiffre, 13 % auraient un handicap psychique. Mais nous pensons que ce pourcentage est sous-estimé car ces troubles sont souvent associés à d’autres handicaps”, explique Hugues Defoy, directeur du pôle métier de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph).

“Il y a dix ans nous ne parlions pas d’emploi pour ces personnes. Aujourd’hui nous sommes convaincus du bien-fondé de l’insertion professionnelle, mais avec un accompagnement”

Sans compter les personnes qui n’osent pas parler de leur maladie et la cache au travail. Et pour cause. “Les personnes ayant un handicap psychique ou mental ont un taux d’emploi plus faible que la moyenne (25 % vs 35 %)”, confie Hugues Defoy. Selon une enquête réalisée par l’Unafam en septembre 2016 auprès de proches de malades, seuls 20 % d’entre eux ont une activité professionnelle (dont 70 % en milieu ordinaire). Pour autant, les chiffres 2016 de Cap Emploi (réseau national spécialisé dans l’insertion des personnes handicapées) apportent une note d’optimisme. L’an dernier, cette structure a pris en charge plus de 6 917 nouvelles personnes handicapées psychiques, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2012. Et le nombre d’individus ayant signé un contrat a progressé de 17 %. “Les choses ont beaucoup évolué depuis une dizaine d’années. La vision est plus globale et inclusive. Mais nous sommes encore au balbutiement d’une meilleure prise en compte de ce handicap pour améliorer les conditions de travail de la personne”, expose Claire Le Roy-Hatala, sociologue et membre du conseil d’administration de l’association Clubhouse France. Tous les experts s’accordent à le dire : l’insertion professionnelle a un effet bénéfique sur les personnes souffrant de handicap psychique, si elle est réalisée dans de bonnes conditions. “Il y a dix ans nous ne parlions pas d’emploi pour ces personnes. Aujourd’hui nous sommes convaincus du bien-fondé de l’insertion professionnelle, mais avec un accompagnement. Le travail représente des repères et un statut social”, confirme Béatrice Borrel.

Sensibilisation et formation des entreprises

Le chemin vers l’insertion professionnelle reste cependant semé d’embûches. Le principal frein ? La stigmatisation de ce type handicap dans le monde du travail. Lenteur, problème de comportement, troubles d’humeur, violences… Les stéréotypes sont nombreux. Les maladies psychiques font peur et nombreux sont les managers qui rechignant à embaucher une personne souffrant de ce type de handicap. “Lorsqu’une personne déclare un trouble psychique alors qu’elle est déjà dans l’emploi, il existe un vrai risque de désinsertion car l’entreprise est mal à l’aise avec le sujet. Et quand un individu postule et qu’il évoque son trouble psychique, c’est un facteur de mise à l’écart”, raconte Claire Le Roy-Hatala. “Je conseille clairement à la personne qui va se retrouver face à un employeur de ne pas parler de sa maladie, mais plutôt de mettre en avant ses compétences et ce qu’elle peut apporter à l’entreprise”, indique de son côté Stéphane Grange, coordinateur du projet social de l’association Messidor. Par ailleurs, à la différence des handicaps moteurs et sensoriels qui nécessitent un agencement du poste de travail, le handicap psychique requiert des changements dans l’organisation du service (aménagement des horaires, sensibilisation auprès du manager et des collaborateurs, etc.).

“Il existe encore un trop grand cloisonnement entre les professionnels de la santé mentale et de l’emploi”

Et bien souvent, les entreprises se retrouvent démunies par manque d’informations et de moyens. “Il existe encore un trop grand cloisonnement entre les professionnels de la santé mentale et de l’emploi”, regrette Hugues Defoy. D’où l’importance des actions de sensibilisation et des formations menées par les associations et cabinets d’aide à la réinsertion. “Dans nos actions d’information, nous insistons beaucoup sur la notion de stabilisation du trouble psychique, qui rend tout à fait possible l’emploi. Nous martelons que ces troubles ne sont pas synonymes de dangerosité et nous nous efforçons de dédramatiser”, dévoile Valérie Tran, pdg d’Ariane Conseil. Le cabinet a notamment conseillé et sensibilisé sur cette question EDF, AG2R La Mondiale, Enedis et la CFE-CGC. Il prévoit également de concevoir une vidéo faisant intervenir plusieurs personnes pour témoigner sur leur maladie et son impact dans la vie professionnelle. “Lors de nos présentations, nous accordons du temps sur la définition du handicap psychique et ce que cela implique. Nous parlons des difficultés et des signes d’alerte qu’il est nécessaire de connaître pour voir si une situation peut dégénérer ou non. Nous aidons aussi les entreprises à connaître les relais possibles : vers qui elles peuvent se tourner (associations, équipes soignantes) en cas de soucis”, ajoute de son côté Laurence Bernard, directrice administrative et financière de l’association Arihm Conseil. L’association Clubhouse France propose, elle, des formations-sensibilisations en entreprise délivrées par des personnes concernées par un handicap psychique. “Cela permet de modifier la posture et d’avoir un effet très fort en termes de représentativité et de changement de regard, analyse Claire Le Roy-Hatala. Avant d’ajouter : on constate qu’un environnement professionnel sensibilisé aux enjeux de la santé mentale au travail est favorable aux personnes souffrant de handicap psychique, car elles auront un espace pour parler de leurs besoins.”

“Un environnement professionnel sensibilisé aux enjeux de la santé mentale au travail est favorable aux personnes souffrant de handicap psychique, car elles auront un espace pour parler de leurs besoins”

Autre paramètre à prendre en compte en matière d’insertion professionnelle : la taille de l’entreprise. “Les grands groupes ont une meilleure capacité à appréhender le handicap en général car ils possèdent des ressources que n’ont pas les TPE et PME”, précise Hugues Defoy. De fait, l’Agefiph prévoit de mieux accompagner les petites structures sur cette question. Dans son nouveau plan stratégique, l’association va mettre en place une offre dédiée aux TPE et PME, qui prévoit notamment la création d’un centre de ressources mutualisé.

Indispensable accompagnement des personnes

Si l’accompagnement des entreprises est nécessaire, celui des personnes souffrant de handicap est primordial. Depuis plus d’une décennie, les pratiques d’emploi accompagné ne cessent de se développer dans le monde anglo-saxon. “Dans le secteur du soin, le courant outre-Atlantique promeut le fait de mettre d’abord les gens au travail et ensuite de les suivre, alors qu’en France on voulait plutôt soigner les gens puis les mettre au travail”, relate Hugues Defoy. L’Hexagone tend désormais à rectifier le tir. L’Agefiph a signé le 21 mars dernier une convention favorisant l’emploi accompagné avec le gouvernement et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp). 7,5 millions d’euros (5 millions de la part de l’État, 2 millions de l’Agefiph et 500 000 euros du Fiphfp) ont été mis sur la table pour mettre en place ce dispositif. Messidor promeut également depuis plusieurs années l’emploi accompagné, via son dispositif de job coaching. Il s’inspire de la méthodologie anglo-saxonne nommée IPS (Individual Placement and Support, voir encadré).

“Messidor promeut également depuis plusieurs années l’emploi accompagné, via son dispositif de job coaching. Il s’inspire de la méthodologie anglo-saxonne nommée IPS ”

L’accompagnement n’est plus axé en amont sur la formation, mais sur l’insertion directe en emploi et au sein même de l’entreprise. La personne est suivie par une seule personne, le conseiller en emploi accompagné, afin de favoriser la continuité du suivi, l’ajustement aux besoins variables et la coordination avec les autres acteurs (équipe soignante, intervenants sociaux). “L’an dernier, nous avons accompagné via ce dispositif de job coaching 139 personnes, dont 82 ont renoué avec le milieu ordinaire. Depuis 2012, notre taux d’insertion est toujours positionné au-dessus de 50 %”, confie Stéphane Grange. Des chiffres encourageants qui augurent des lendemains professionnels plus souriants pour le handicap psychique.

La méthode IPS pour favoriser la réinsertion professionnelle
L’emploi accompagné s’inspire d’une méthodologie anglo-saxonne éprouvée depuis plus de 20 ans outre-Atlantique. Mise au point par des psychiatres, elle a été baptisée IPS (Individual, Placement and Support), ce qui peut se traduire par “insertion dans l’emploi et soutien individualisé”. “Cette méthode est assez précise et repose sur sept principes clés”, souligne Claire Le Roy-Hatala, sociologue. Elle s’appuie notamment sur le principe de zéro exclusion (ce qui signifie l’absence de sélection), une recherche d’emploi rapide, l’obtention d’un emploi en milieu ordinaire, un accompagnement individualisé et qui prend en compte les préférences et intérêts professionnels de la personne, une coordination entre les professionnels de l’emploi et l’équipe soignante, un soutien continu, sans limite dans la durée, et des conseils personnalisés. “Cette méthode aspire à repositionner et remotiver la personne pour qu’elle évalue par elle-même ses besoins. L’individu est ainsi dans un principe d’autodétermination”, explique Claire Le Roy-Hatala.Et elle semble porter ses fruits. La méthodologie IPS a été évaluée et validée par de nombreuses expérimentations et études. Selon la méta-analyse de Bond & al. (2008), le taux d’insertion en milieu de travail ordinaire est de 60 % après 18 mois de suivi, soit un taux au moins deux fois supérieur à celui des méthodes traditionnelles d’aide à la réinsertion professionnelle. “C’est aussi un énorme plus pour les entreprises, car on ne dissocie plus l’accompagnement de la personne et le monde du travail. On réaffirme aussi que ces personnes peuvent travailler en milieu ordinaire”, ajoute Claire Le Roy Hatala. “Si la personne souffrant de graves troubles psychiques est dans un circuit classique de réinsertion dans l’emploi, elle va d’abord travailler sur un projet professionnel, faire des formations puis rechercher un emploi. Ce parcours est trop long et la personne risque de perdre espoir et de baisser les bras. C’est pourquoi nous préconisons la méthode IPS”, conclut Béatrice Borrel, présidente de l’Unafam.

 

Handicap psychique, que dit la loi ?
Le handicap psychique n’est reconnu légalement que depuis une dizaine d’années. La loi du 11 février 2005 lui a donné un statut juridique, au même titre que les handicaps sensoriels, moteurs et mentaux. “Depuis 2005, nous sommes en meilleure capacité de parler du handicap psychique dans la société. La définition du handicap posée par la loi y fait clairement référence”, informe Hugues Defoy, directeur du pôle métier de l’Agefiph. La législation actuelle impose aux entreprises de plus de vingt salariés l’obligation d’employer des travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de son effectif total. Pour satisfaire à ses obligations, plusieurs choix s’offrent à elles. Le plus évident est d’employer des personnes handicapées en CDI, CDD ou intérim, ou de les accueillir en stage ou en période de mise en situation en milieu professionnel. À défaut d’action directe, l’entreprise doit s’acquitter d’une contribution auprès de l’Agefiph. Elle peut s’affranchir d’une partie de cette contribution en engageant des actions de sous-traitance auprès des secteurs adapté, protégé ou de travailleurs indépendants handicapés. Enfin, la conclusion d’un accord de groupe, d’entreprise ou d’établissement en faveur du handicap libère l’entreprise de son obligation d’emploi. Mais le handicap psychique reste encore en marge du dialogue social, comme le confirme Béatrice Borrel, présidente de l’Unafam : “Dans les conventions et accords de groupe, le handicap psychique n’est généralement pas visé”. Des propos qui corroborent une étude réalisée par l’IREPS portant sur l’analyse de trente accords d’entreprise en cours de validité. Celle-ci relate que seulement 13 d’entre eux font référence au handicap psychique.

 

2,6 millions de personnes bénéficiaires de l’obligation d’emploi des personnes handicapées en 2016.
13 % environ des personnes handicapées auraient un handicap psychique.
927 000 personnes handicapées sont dans l’emploi.
Le taux d’emploi des personnes ayant un handicap psychique ou mental est de 25 % (alors que la moyenne est de 35 %)Sources : Agefiph et enquête emploi 2015 Insee.

À propos de Christophe ROTH

Délégué National Santé au Travail et Handicap Confédération CFE CGC
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